Aller au contenu principal

Leys, Simon (1935-2014)

Contents


Biographie

Origines sociales et familiales

Pierre Ryckmans est né le {{date}} à Uccle, une commune bourgeoise de Bruxelles, dans une maison de l’avenue des Aubépines. Sa famille est une grande famille belge, aux origines malinoises et anversoises : il est le fils d'un éditeur, le petit-fils d'Alphonse Ryckmans, {{refconf}} puis vice-président du Sénat, le neveu de Pierre Ryckmans, gouverneur général du Congo belge, et de Gonzague Ryckmans, professeur à Louvain et sommité mondiale de l’épigraphie arabique{{,}}.

Études

Il fréquente l’école des Servites de Marie, non loin de la maison familiale, puis fait ses humanités gréco-latines au collège diocésain Cardinal Mercier de Braine-l'Alleud, où un de ses maîtres, l’abbé Voussure, {{Citation}}.

À partir de 1953, il étudie le droit et l'histoire de l'art à l'université catholique de Louvain.

Voyage en « Chine rouge »

En 1955, à l'âge de dix-neuf ans, il perd son père prématurément. En mai, il participe au voyage d'une délégation de dix jeunes Belges invités durant un mois en Chine, séjour encadré au cours duquel il prend part à un entretien avec Zhou Enlai, le numéo 2 chinois.

Ce séjour le rend favorable à la révolution chinoise et au régime maoïste :

{{Citation étrangère}},

mais aussi le persuade d'apprendre le chinois afin de pouvoir s'ouvrir à la langue et à la culture du pays :

My overwhelming impression (a conclusion to which I remained faithful for the rest of my life) was that it would be inconceivable to live in this world, in our age, without a good knowledge of Chinese language and a direct access to Chinese culture.

Il achève ses études d'histoire de l'art et s'initie à la calligraphie.

À l'été 1958, il embarque à Étel, dans le Morbihan, sur l'un des derniers dundées-thoniers en activité. Il rédige aussitôt le récit de cette marée, qui sera publié quarante-cinq ans plus tard, sous le titre de Prosper .

Séjour en « Chine libre »

Après avoir voyagé en Afrique et en Asie, il obtient, du gouvernement de Chiang Kai-shek, une maigre bourse d'études pour Taïwan, où il s'inscrit à la section des Beaux-Arts de l’Université nationale de Taïwan. Il a pour professeur Pu Hsin-yu, cousin du « dernier empereur » Pu Yi, et se documente pour sa future thèse de doctorat sur Shitao, un artiste peintre chinois de la dynastie Qing.

Objecteur de conscience

Ses études taïwanaises terminées, Pierre Ryckmans est objecteur de conscience et, en remplacement du service militaire, accomplit trois années de « coopération au développement » d’abord à Singapour, où, grâce à l’écrivaine Han Suyin, il peut étudier et enseigner en chinois à l'université de Nanyang. Soupçonné d’être pro-communiste par le régime de Lee Kuan Yew, il fait ses valises en 1963 et s’installe à Hong Kong, à l'époque colonie britannique.

Vie de bohème à Hong-Kong

Pendant son séjour de plus de deux ans à Hong Kong, la vie que mène Pierre Ryckmans n'est pas sans ressembler à une version asiatique de Scènes de la vie de bohème, partageant avec trois amis, un artiste et deux étudiants, ce qu'ils appellent {{Citation}}, une misérable cahute d'un bidonville de réfugiés du quartier de Kowloon. Pour Simon Leys « {{citation}}. Il donne des cours au New Asia College, embryon de la future université chinoise, mais étant insuffisamment payé pour ce travail et devant faire face à la cherté des loyers, il complète son salaire en établissant des synthèses de la presse chinoise et des témoignages des réfugiés, de 1967 à 1969, pour le compte de la délégation diplomatique belge de Hong-Kong. Ces rapports seront à l'origine de son livre Les Habits neufs du président Mao. Par ailleurs, il donne des cours à l’Alliance française de la colonie anglaise. C'est à cette époque qu'il rencontre le sinologue René Viénet, alors membre de l'Internationale situationniste, par l'entremise d'un autre sinologue, Jacques Pimpaneau, qui donne lui aussi des cours au New Asia College. René Viénet, qui constate que les journaux chinois ne donnent pas de la Révolution culturelle une version aussi aseptisée que les écrits des sinologues et journalistes occidentaux, obtient l'accord de Pierre Ryckmans pour que son essai Les Habits neufs du président Mao soit publié par la maison d'édition parisienne Champ libre, dirigée par Gérard Lebovici.

Mariage et thèse de doctorat

Le {{date}}, Pierre Ryckmans épouse Han-fang Chang, une journaliste rencontrée lors de son séjour à Taïwan. Le couple aura quatre enfants, dont des jumeaux, Marc et Louis, nés le 19 octobre 1967 à Hong Kong.

Pour sa thèse de doctorat, il traduit et commente un chef-d'œuvre de l'histoire de l'art chinois, le traité de peinture écrit par Shitao, véritable génie créatif du début du {{XVIII}} siècle. Elle sera publiée, en 1970, par l'Institut belge des hautes études chinoises à Bruxelles, sous le titre Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère de Shitao. Contribution à l'étude terminologique des théories chinoises de la peinture.

De Pierre Ryckmans à Simon Leys

En 1971, alors qu'il a passé plusieurs années à Hong Kong, « un poste d'observation privilégié de la Chine », mais sans être retourné en Chine communiste depuis 1955, il publie, sous le pseudonyme de Simon Leys, aux éditions situationnistes Champ libre, Les Habits neufs du président Mao, un ouvrage sur la Révolution culturelle chinoise. Le titre est une référence au conte de Hans Christian Andersen, Les Habits neufs de l'empereur, où un enfant dit candidement ce qu'il voit quand passe le grand-duc dans ses fameux habits neufs : {{Citation}}. Sur les conseils de son éditeur, il a décidé de prendre un nom de plume, pour ne pas risquer de devenir persona non grata en République populaire de Chine. Il a choisi comme prénom « Simon », en référence au nom originel de l'apôtre Pierre, et comme nom « Leys », en hommage au personnage du roman de Victor Segalen, René Leys, publié en 1922, dans lequel un jeune Belge (tout comme Pierre Ryckmans), présent en Chine dans les derniers mois de la dynastie Qing, divertit son employeur avec le récit des intrigues et des conspirations se nouant à l'intérieur du palais impérial. Enfin, le pseudonyme renverrait par ailleurs à une dynastie de peintres anversois dont le plus célèbre fut Henri Leys.

Dénonciation de la révolution culturelle

{{Article connexe}} Selon le philosophe Jean-Claude Michéa, son choix de démystifier la « grande révolution culturelle prolétarienne » a pour origine, alors qu'il vivait à Hong-Kong en 1967, la découverte, sur le pas de sa porte, d'un journaliste chinois agonisant après « avoir été atrocement torturé par les nervis de Mao ». Par ailleurs, Pierre Ryckmans voit, tous les jours, {{citation}}.

Simon Leys explique ainsi son choix : {{citation}}.

Aux yeux de l'universitaire Edward Friedman, Leys, qui se dit ancien sympathisant de la révolution chinoise, est gagné par le désenchantement. On peut dire de Leys ce qu'on pouvait dire de ceux qui avaient porté aux nues la révolution bolchévique avant de la décrier. Le tout nouveau rejet n'est que l'inverse de l'ancienne foi aveugle mais cela ne fait pas de Leys le meilleur juge de ce qu'il a autrefois adoré.

Attaché culturel à Pékin

En 1972, il est nommé attaché culturel, aux côtés de {{lien}} et Patrick Nothomb, à l'ambassade belge, qui est rouverte à Pékin, le {{date}}. À son arrivée, Pierre Ryckmans est hébergé par les Nothomb, puis réside à l'hôtel, n'ayant pas encore de bureau. « Je passais mon temps dans les rues », nous dit-il. L'ambassadeur Jacques Groothaert évoque en termes élogieux sa collaboration avec lui : « Pour le diplomate que j’étais, curieux mais fort ignorant de la langue et de la culture chinoises, ce fut un privilège d’être initié et accompagné dans ma découverte par un collaborateur qui alliait l’érudition au sens de l’humour et la finesse d’observation à l’élégance de l’écriture ». Pendant ce séjour de six mois, Simon Leys indique avoir pu « accomplir sept voyages successifs dans les provinces » chinoises. En mai 1972, dans un voyage organisé par l'ambassade, il se rend dans les provinces de Henan, de Shaanxi et de Shanxi, visitant dans cette dernière la brigade maoîste modèle de Dazhai. Il fait ensuite un voyage qui le conduit de Pékin à Canton. En octobre, il visite avec Patrick Nothomb, le Wuhan, Changsha et Shaoshan, les deux voyageurs y posent pour une photo devant la maison natale de Mao Zedong{{,}}.

Déçu par la « vie artificielle de la capitale maoïste » et considérant qu'il avait vu et fait tout ce qu'il était possible pour un étranger, il quitte la Chine au bout de six mois pour un poste d'enseignant qui lui est proposé à la section de chinois de l'université nationale australienne à Canberra en Australie{{,}}. De sa mission à l'ambassade de son pays, il tire la matière d'un nouveau livre, Ombres chinoises, qui paraît en 1974. Patrick Nothomb explique ce décalage de deux ans par la demande de Jacques Groothaert, afin de ne pas gêner le gouvernement belge. Ce deuxième ouvrage de ce qui sera une trilogie, fera connaître Simon Leys à un plus vaste public et notamment, par sa traduction en anglais (Chinese Shadows), aux États-Unis.

Candidature à l'université française

En 1971, Jacques Gernet propose à Pierre Ryckmans de présenter sa candidature à un poste de maître de conférence à l'unité d'enseignement et de recherche des langues et civilisations de l'Asie de l'Est de l’université Paris 7. Jacques Gernet est encouragé par Paul Demiéville, du Collège de France, qui {{citation}}. Pour René Viénet, quatre {{citation}} défenseurs du maoïsme se liguèrent, après la sortie de l'ouvrage, pour empêcher Leys d'accéder à l'université en France : {{citation}}{{,}}{{,}}.

Pierre Ryckmans sera tenu à distance de l'université française et ne sera accueilli par elle que de façon ponctuelle. Quant à son mentor, René Viénet, il sera exclu du CNRS. Évoquant cet épisode, Pierre Boncenne se demande {{Citation}}.

Carrière à l'université australienne

Une autre occasion se présente toutefois à Pierre Ryckmans. Le professeur Liu Ts'un-yan, directeur du département d'études chinoises de l'université nationale australienne, vient à Hong-Kong pour le convaincre de venir en Australie enseigner pour trois ans. Jeune père de famille de quatre enfants, Ryckmans accepte le poste et s'installe à Canberra avec sa famille{{,}}.

Son poste devient permanent, et Pierre Ryckmans enseigne, dix-sept ans durant, la littérature chinoise à l'université nationale australienne (il y sera le directeur de thèse entre autres de l'homme politique australien Kevin Rudd).

Au début de cette période, en 1973, il a l'occasion de retourner une troisième et dernière fois en Chine en accompagnant une délégation de son université qui se rend dans divers instituts de recherche. Les autorités chinoises, qui savent qui il est, mais ne veulent pas qu'on sache qu'elles le savent, le laissent entrer.

En 1976, il publie Images brisées, le troisième essai de sa trilogie, après Ombres chinoises (1974) et Les Habits neufs du président Mao (1971), sur la Révolution culturelle. Dans ce qui est comme son « testament politique », il « prend congé » (titre du dernier paragraphe) parce que, écrit-il, certains de ses amis s'irritent de sa « propension monomaniaque à dénoncer le maoïsme », et que cela le déprime de ressasser des choses tristes sur un pays auquel il est attaché.

De 1987 à 1993, il est directeur de la section des études chinoises à l'université de Sydney, date à laquelle il décide de prendre une retraite anticipée, ayant constaté que l'enseignement universitaire humaniste de ses débuts s'était mué en simple formation professionnelle hyperspécialisée, une orientation qu'il combattait car ne correspondant plus à l'idée qu'il se faisait de son métier{{,}} :

When a university yields to the utilitarian temptation, it betrays its vocation and sells its soul,

ou encore :

« L’université n’est pas une usine à fabriquer des diplômes, à la façon des usines à saucisses qui fabriquent des saucisses. C’est le lieu où une chance est donnée à des hommes de devenir qui ils sont vraiment ».

En 2005, dans un discours iconoclaste prononcé à l’Université catholique de Louvain à l'occasion de la remise d’un doctorat honoris causa, il devait dénoncer cette mercantilisation de l’université.

L'affaire des jumeaux apatrides

En août 2007, les deux fils de l'écrivain, les jumeaux Marc et Louis Ryckmans (nés le 19 octobre 1967 à Hong Kong), se retrouvent apatrides à la suite d'une erreur administrative. En effet, faute d'avoir introduit une déclaration conservatoire avant l'âge de 28 ans, ils sont déchus de leur nationalité belge par le consul de Belgique en Australie. Un an plus tard, malgré une demande en référé, l'affaire n'est pas encore jugée et les fils de Simon Leys sont toujours apatrides. Ce n'est que le 11 avril 2013 que la justice ordonnera à l'État belge de {{citation}} à Marc et Louis.

Disparition et hommages

Atteint d'un cancer, Pierre Ryckmans passe les derniers mois de sa vie à Rushcutters Bay, dans la banlieue est de Sydney, et meurt le 11 août 2014, à l'âge de 78 ans, laissant derrière lui son épouse, Han-fang, et ses quatre enfants, Jeanne, Étienne, Marc et Louis.

En France, dans un communiqué lui rendant hommage en août 2014, la ministre de la culture Aurélie Filippetti indique que « son témoignage précurseur et clairvoyant sur la réalité du maoïsme avec Les Habits neufs du Président Mao lui valut d'être au cœur des affrontements idéologiques des années 1970 ».

Hommages et distinctions

Simon Leys est fait commandeur de l'Ordre de Léopold par les autorités belges en 1983.

En 1990, il est élu membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ; il y occupe le fauteuil de Georges Simenon, un homme et un écrivain qu'il n'apprécie toutefois que modérément. Il en démissionne en 2013 pour protester contre la privation de la nationalité belge subie six ans durant par ses deux enfants à la suite d'une erreur administrative du Consulat de Sidney. Amélie Nothomb hérite en 2015 du siège laissé vacant. Elle se dit {{citation}}, qu'elle a connu dans sa jeunesse alors que celui-ci travaillait à l'ambassade de Belgique à Pékin.

En 1996, Simon Leys est choisi comme orateur de la série de conférences Boyer ({{Lien}}), organisées en novembre et décembre de chaque année par la radio nationale australienne (Australian Broadcasting Corporation). Le sujet de ses interventions a pour titre Aspects of Culture. A View from the Bridge.

En 1999, il est fait commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres par les autorités françaises.

La journaliste Aude Lancelin, rendant hommage à l'œuvre de Simon Leys et à sa {{Citation}}, fait en 2012 l'éloge de la {{citation}} qu'il a su conserver vis-à-vis du personnel intellectuel français qui le vénère aujourd'hui et dont les représentants sont {{citation}}.