Manea, Norman (1936-....)
Biographie
Né dans une famille juive en Bucovine (Roumanie), Norman Manea est déporté en 1941 avec sa famille et la moitié la population juive de la région en Transnistrie en Ukraine par le régime fasciste au pouvoir en Roumanie, allié de l'Allemagne nazie (voir Shoah en Roumanie). Il survit, ainsi que ses parents, grâce à l'aide des associations humanitaires œuvrant en Roumanie durant la guerre. Après la guerre, il devient ingénieur hydraulicien, métier qu'il abandonne en 1974 pour se consacrer exclusivement à la littérature. Il parle couramment roumain, latin, hébreu, yiddish, allemand, français et anglais et connaît très bien l'histoire et la littérature de ces cultures.
Il multiplie romans et nouvelles. Sa production est bien reçue par la critique littéraire d'autant qu'elle prend quelques distances avec les idéologues officiels. Il est considéré comme un des meilleurs écrivains de sa génération. En 1984, le pouvoir s'oppose à ce que lui soit remis le Prix de littérature de l'Union des écrivains roumains. En 1986, son dernier livre publié en Roumanie, Plicul negru (L'enveloppe noire) provoque une vive réaction de la censure. Classé dissident, Norman Manea réussit à quitter le pays et passe un an à Berlin-Ouest, avant de s'installer aux États-Unis. Il vit actuellement à New York où il poursuit son œuvre d'écrivain tout en enseignant la littérature européenne au Bard College dans l'État de New York. Norman Manea est l'un des auteurs roumains les plus connus dans le monde. Son œuvre est traduite en de nombreuses langues, dont le français.
Par son essai consacré à Mircea Eliade en 1991, dans lequel il révélait la jeunesse pro-fasciste de cet historien adulé, et par sa critique des réécritures de l’histoire, il jette un premier pavé dans la mare de l'historiographie roumaine actuelle. Il intervient ensuite dans le débat sur l'antisémitisme roumain, considéré par des auteurs comme Matatias Carp, Raul Hilberg, Marius Mircu ou Raul Rubsel comme une monstrueuse parenthèse, un hiatus d'inhumanité dans l'histoire du peuple roumain, tandis que d'autres auteurs, comme Radu Ioanid, Florence Heymann ou Carol Iancu (de l'Université de Montpellier) affirment que l'antisémitisme fait partie intégrante de l'identité roumaine, s'accordant en cela avec les survivants du mouvement fasciste de la Garde de fer. Sans trancher la question, Norman Manea souligne que la disparition de la démocratie et la légitimation de la violence comme moyen politique par les partis politiques nationalistes et par le régime Antonescu, ont rendu ces crimes possibles, tandis que la brutalité ainsi déchaînée d'abord contre les juifs et les roms a sévi ensuite, sous un autre régime, jusqu'au {{date}}, au détriment de l'ensemble du peuple roumain. Or l'histoire telle qu'elle est écrite et enseignée dans la Roumanie post-communiste occulte pudiquement ces questions.
En écho à Norman Manea, l'historien Neagu Djuvara, a estimé que la première position (celle de l'hiatus) est cathartique, car elle suscite l'horreur chez les jeunes générations, et les incite à prendre des moyens pour que cela ne recommence pas, tandis que la deuxième position (celle de l'antisémitisme comme partie intégrante de l'identité) est génératrice de nouvelles formes d'antisémitisme, car le jeune lecteur se trouve accusé et culpabilisé d'être antisémite par le seul fait d'être né roumain, ce qui ne l'incite pas à ressentir de l'empathie pour les victimes, et peut le pousser à adhérer aux fantasmes des bourreaux; il ajoute que si l'on appliquait cette position à la France, il faudrait considérer Gobineau, Maurras, Darnand, Doriot et le régime Vichyste comme une part incontournable l'identité française.
Norman Manea a aussi dénoncé la dérive antisémite de l'ancien dissident Paul Goma et l’ignoble engrenage de la concurrence mémorielle en déclarant que si l’on ne fait pas siens tous les génocides, on n’en fait sien aucun. La Roumanie a fini par accepter officiellement les conclusions de la Commission Wiesel sur la Shoah en Roumanie{{,}} et celles de l'Institut de recherche historique sur les crimes du régime communiste, mais des efforts importants restent à faire pour que ces conclusions soient intégrées dans les programmes scolaires et pour que les lois punissant le négationnisme et les tentatives de réhabilitation des dictateurs Antonescu ou Ceaușescu soient correctement appliquées.