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Kropotkin, Petr Alekseevič (1842-1921)

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Biographie

En 1861 au lycée à Moscou. Vers 1870. Son père, le général prince Alexis Pétrovitch Kropotkine (1805-1871), riourikide, issu d'une branche cadette des princes de Smolensk, est un riche propriétaire terrien ; sa mère, Catherine Nicolaïevna, fille du général Nicolas Sémionovitch Soulima (1777-1840), héros des guerres napoléoniennes, meurt de la tuberculose à 34 ans. Éprise de poésie, sa grande bonté l'avait fait aimer des serfs du domaine. Pierre Alexeïévitch poursuit ses études au Premier lycée classique de Moscou, puis entre dans l’armée impériale russe à partir de 1857. Il est alors affecté comme officier de Cosaques de l'Amour en Sibérie.

Sa sympathie pour l'insurrection polonaise de 1863 l'amène à démissionner de l'armée. Il se consacre alors à des expéditions scientifiques en Sibérie et en Mandchourie, tout en lisant Pierre-Joseph Proudhon et Alexandre Herzen.

De 1867 à 1871, il suit des études de mathématiques et de géographie à l'université de Saint-Pétersbourg tout en étant secrétaire de la Société de Géographie. Il publie plusieurs travaux sur l'Asie septentrionale et, en 1871, explore les glaciers de la péninsule scandinave.

Premiers engagements

En 1872, il se rend en Belgique puis en Suisse où il adhère à la Fédération jurassienne de la Première Internationale et se lie d'amitié avec James Guillaume.

Il repart, la même année, en Russie où il mène une activité de militant notamment en publiant des brochures révolutionnaires. Il est arrêté à Saint-Pétersbourg en 1874, à la sortie d'une séance de la Société de géographie et interné en forteresse pour « propagande subversive » et « activités révolutionnaires ». Il s'en évade le 30 juin 1876.

Il passe ensuite en Grande-Bretagne, puis revient en Suisse fin 1876, où il séjourne à Neuchâtel, et rencontre Errico Malatesta et Carlo Cafiero.

En 1877, il fonde avec Paul Brousse et Jean-Louis Pindy, le journal L'Avant garde, « Organe de la Fédération française de l'Association internationale des travailleurs » avant de devenir, à partir d'avril 1878, « Organe collectiviste et anarchiste ». Et en 1879, avec Élisée Reclus, le journal Le Révolté qui devient peu après La Révolte, dont ils confient la direction à Jean Grave. À cette époque, Kropotkine est un partisan de la « propagande par le fait ». Il écrit dans Le Révolté publié le 25 décembre 1880 : « La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite [...], tout est bon pour nous, qui n'est pas la légalité. »

En 1881, il est expulsé de Suisse. Après un court passage à Londres, où lors d’un congrès international, il plaide en faveur de l’action violente et de la propagande par le fait, il s'installe en 1882 en France à Thonon-les-Bains.

Trois ans de prison en France

Il est arrêté à Lyon et impliqué dans le procès dit « Procès des 66 », qui s’ouvre le 8 janvier 1883, à la suite des violentes manifestations des mineurs de Montceau-les-Mines d’août 1882 et des attentats à la bombe perpétrés à Lyon en octobre 1882. Au titre de la loi du 14 mars 1872, les « 66 », dont Émile Gautier, sont accusés de s’être affiliés à l’Association internationale des travailleurs (AIT), censée avoir été reconstituée au congrès de Londres en juillet 1881 : « D'avoir [...] été affiliés ou fait acte d'affiliation à une société internationale, ayant pour but de provoquer à la suspension du travail, à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion, et d'avoir ainsi commis un attentat contre la paix publique ». Le 7 janvier 1883, il est condamné à 5 ans de prison et 10 ans de résidence surveillée{{,}}. Lors de son procès, il déclare à ses juges que la révolution sociale est proche, « dans dix ans, cinq peut-être ». Et encore fait-il figure de pessimiste parmi les compagnons anarchistes. Après une courte détention dans cette ville, il est transféré dans la maison centrale de Clairvaux où il reste trois ans, bénéficiant des conditions de détention assouplies appliquées aux prisonniers politiques.

La pétition pour sa remise en liberté est signée, notamment, par le philosophe Herbert Spencer, l’astronome Camille Flammarion, le poète Algernon Swinburne et l'écrivain Victor Hugo. Il est amnistié en 1886.

De son expérience pénitentiaire, il tire l'ouvrage Dans les prisons russes et françaises (1887), dans lequel il décrit le système de travail, profitant à des entrepreneurs privés, mis en place dans les prisons françaises. La fréquence de la récidive lui paraît être inscrite dans le principe même de la prison, notamment parce qu'elle « tue en l'homme toutes les qualités qui le rendent mieux approprié à la vie en société ». Il conclut « qu'on ne peut pas améliorer une prison. Sauf quelques petites améliorations sans importance, il n'y a absolument rien à faire qu'à la démolir ».

Exil londonien

À sa table de travail vers 1890. Paroles d'un Révolté, 1885. La Conquête du pain, 1892.

Il se réinstalle ensuite à Londres, où il participe à l'accueil des réfugiés politiques russes.

Il vit de ses écrits scientifiques et collabore à la rédaction de la Géographie universelle d'Élisée Reclus, ainsi qu'à la Chambers Encyclopædia et à lEncyclopædia Britannica. Il refuse de devenir membre de la Société royale britannique de géographie car elle est sous le patronage de la Reine Victoria.

En 1885, il publie Paroles d'un révolté, recueil d'écrits paru dans le journal La révolte.

En octobre 1886, il fonde avec Charlotte Wilson le journal Freedom.

En 1892, dans La Conquête du pain, préfacé par Élisée Reclus, il trace les contours de ce que pourrait être une société libertaire.

Son ouvrage L'Entraide, un facteur de l'évolution, paru en 1902, expose des exemples de coopérations inter ou infra espèces et se veut un pendant des travaux de Darwin, auquel il adhère, en s'opposant à ce qu'on appellera ultérieurement le darwinisme social. Traitant de la biologie évolutive et de l'étude des sociétés, Kropotkine y pose les fondements d'une « éthique libertaire ».

En 1906, paraissent ses Mémoires sous le titre Autour d´une vie.

Il commence aussi un grand ouvrage qu'il ne finira pas, L'Éthique. Ce livre, tel qu’il nous est connu, expose de manière personnelle l’histoire de la philosophie de l'antiquité au milieu du 19{{e}}.

Kropotkine est alors considéré comme le principal théoricien du mouvement libertaire et veut fonder un « anarchisme scientifique ».

L'échec de la « propagande par le fait » qui isole de plus en plus les anarchistes des masses ouvrières, l'oblige à réévaluer sa position sur la violence révolutionnaire minoritaire : il écrit dans Le Révolté en 1890, qu'{{citation}}

C'est vers le syndicalisme révolutionnaire naissant qu'il se tourne alors : « La révolution, avant tout, est un mouvement populaire. ». Il préconise la création d'un syndicalisme de masse : « Il faut être avec le peuple et créer des unions monstres, englobant les millions de prolétaires contre les milliers et les millions d’or des exploiteurs » (La Révolte, 27 septembre 1890).

La guerre de 1914-1918

L'éclatement de la Première Guerre mondiale provoque de vives tensions au sein du mouvement qui est divisé entre « défensistes » et « antimilitaristes ».

En 1916, Kropotkine corédige avec Jean Grave, le « Manifeste des Seize ». Le texte est signé par, notamment, Christiaan Cornelissen, Charles-Ange Laisant, François Le Levé ou Charles Malato. Ils prennent ainsi publiquement parti pour le camp des Alliés et contre l’agression allemande. Une centaine d'autres personnalités anarchistes apporte leur soutien au Manifeste qui fonde « son analyse de la situation sur la conviction que l'Allemagne était l'agresseur et que, en outre, sa victoire dans la guerre en cours représenterait le triomphe du militarisme et de l'autoritarisme en Europe. Selon cette perspective, l'Allemagne était le "bastion de l'étatisme", la France - la patrie de la Révolution de 89 et de la Commune - c'est pourquoi la victoire de l'Allemagne entraverait le développement des idées libertaires et la marche vers une société fédéraliste et décentralisée en Europe. ».

Les « antimilitaristes », majoritaires dans le mouvement, dont Errico Malatesta, Emma Goldman, Alexander Berkman, Rudolf Rocker, Voline ou Ferdinand Domela Nieuwenhuis s'opposent à cette prise de position, considérant « la guerre comme l'aboutissement inévitable du régime capitaliste et de l'existence des États en tant que tels ». Certains brocardent Kropotkine du nom d'« anarchiste de gouvernement »{{,}}.

Retour en Russie

En 1917, après la révolution de Février, il retourne en Russie et retrouve le mouvement libertaire qui, pour quelques années encore, jouit d'une certaine liberté d'expression et d'association.

Fidèle à ses convictions, il refuse un poste de ministre proposé par Aleksandr Kerenski, même s'il soutient son gouvernement.

Après la révolution d'Octobre, avec Emma Goldman et Alexander Berkman, présents à Moscou à cette époque, il critique ouvertement le nouveau gouvernement bolchévique, la personnalité de Lénine et la dérive dictatoriale du pouvoir.

En 1919, l'insurrection menée par Nestor Makhno en Ukraine revendique l'application effective des principes exposés dans L'Entraide, lorsque paysans et ouvriers organisent un système de troc massif entre les productions manufacturières industrielles et celles agricoles.

Funérailles

Emma Goldman lors des funérailles en 1921. Le 8 février 1921, Kropotkine meurt à l’âge de 78 ans, à Dmitrov, près de Moscou. Sa famille et ses amis refusent au gouvernement bolchevique des funérailles nationales, celles-ci sont organisées par une commission composée de militants anarchistes. Le 10 février, le cercueil est transféré à Moscou dans un train orné de drapeaux noirs et de banderoles arborant des slogans comme « Là où il y a autorité, il ne peut y avoir de liberté », « Les anarchistes demandent à être libérés de la prison du socialisme » ou « La libération de la classe ouvrière, c’est la tâche des travailleurs eux-mêmes ». Le cercueil est exposé durant deux jours dans la salle des colonnes de la Maison des syndicats, au fronton de laquelle est accroché un énorme calicot portant une inscription dénonçant le gouvernement bolchevique et sa répression.

L’enterrement a lieu le 13 février. Bravant le froid, {{num}} moscovites suivent le cortège qui s’arrête une première fois au Musée Léon Tolstoï où est jouée la Marche funèbre de Frédéric Chopin, puis une seconde fois au niveau de la prison de la Boutyrka où s’entassent nombre de prisonniers politiques qui manifestent en frappant sur les barreaux. Avant que le cercueil ne soit mis en terre, plusieurs orateurs interviennent dont Emma Goldman. Kropotkine avait demandé que ne soit pas chantée L’Internationale lors de ses funérailles, tant elle ressemblait déjà « à des hurlements de chiens faméliques ».

L’enterrement de Kropotkine est la dernière manifestation libertaire de masse sous un gouvernement bolchevique. Dès le mois de mars, toutes les organisations anarchistes sont interdites, leurs militants persécutés. Le 17 mars, l'insurrection des marins et du soviet de Kronstadt est écrasée par l'Armée rouge commandée par Trotsky.