Drieu La Rochelle, Pierre (1893-1945)
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Biographie
Son père, avocat, est issu d'une vieille famille normande, sa mère Eugénie-Marie Lefèvre est la fille d'un architecte. Installée dans la Cité Malesherbes, la famille est déchirée par les problèmes conjugaux et les questions financières. Il est le neveu de l'artiste et poète Maurice Dumont.
Le père est retourné chez sa vieille maîtresse après avoir dilapidé la dot de sa femme. Le père de madame est le seul refuge affectif de l'enfant.
Nourri par la lecture de Stendhal et de Barrès notamment, il a très tôt le goût de l'écriture. Il entre à l'École libre des sciences politiques et se destine à une carrière dans la diplomatie. Contre toute attente, il échoue à l'examen de sortie et songe à se suicider.
Le garçon a beaucoup de mal à comprendre les dreyfusards et antidreyfusards, et l'antisémitisme virulent de sa grand-mère Lefèvre le fait douter. Il a douze ans lorsqu'éclate le scandale des fiches du général André : le conservatisme de sa famille s'exprime alors très ouvertement.
Le combattant de la Grande guerre
Il est mobilisé dès le début de la Première Guerre mondiale et vit son expérience au front sur un mode nietzschéen (il a emporté le Zarathoustra avec lui). Blessé à trois reprises, il s'inspirera de cette expérience pour ses premiers textes comme Fond de cantine et, plus tard, La Comédie de Charleroi, recueil de nouvelles publié en 1934.
Il épouse en 1917 la sœur d'un condisciple d'origine juive, Colette Jéramec (1896-1970), dont il divorcera en 1925. Dans ses carnets d’étudiant, il avait écrit : « Deux êtres que je passerai ma vie à découvrir : la femme et le Juif. »
D'abord attiré par le pacifisme, il se mêle aux surréalistes dans les années 1920 lorsque sa femme Colette lui présente Louis Aragon avec lequel il se brouillera en 1925 pour une femme. Il inspirera plus tard à Aragon le personnage d'Aurélien. Son admiration pour Aragon le tient à l'écart de toute tentation d'adhésion à l'Action française. Selon Dominique Desanti, ce n'est que beaucoup plus tard que Drieu sera tenté par les théories nationalistes.
L'ami des dadaïstes et des surréalistes
L'épisode de son adhésion au mouvement Dada en compagnie de Louis Aragon, compagnon de route, avec qui il est alors ami, est très mal connu du grand public. Il assiste aux réunions chaque fois que ses conquêtes féminines lui en laissent l'occasion. En juin 1921, Maurice Martin du Gard brosse un portrait de Drieu qui sait faire « une grâce de sa muflerie », « dont la tendresse sérieuse est gênante », et qui a une « allure de somnambule extralucide ». Martin du Gard est fasciné par ce garçon qu'il emmène dans les bars et les boîtes de nuit. Mais Drieu prouve qu'il n'est pas le dilettante que l'on croit.
Lors du procès de Maurice Barrès, il est présent le vendredi 13 mai 1921 dans la salle des Sociétés savantes louée par les Dadas rue Serpente. Une sorte de procès de Barrès est organisé avec André Breton déguisé en président du tribunal, tandis qu'Aragon joue les avocats et Georges Ribemont-Dessaignes le procureur. Très vite, la pagaille éclate dans la salle où Tristan Tzara chante en roumain, le futuriste Giuseppe Ungaretti proteste en vain. Lorsque André Breton lui demande s'il a été voir Barrès, Drieu répond que oui ; pourtant, il refuse la condamnation demandée par Breton. Après les premières réponses évasives de Drieu, un jeu de questions-réponses s'instaure entre Drieu et Breton. Celui qui régnait déjà sur les dadas surréalistes lui dédicace son livre Clair de terre avec cette phrase : « À Pierre Drieu la Rochelle. Mais où est Pierre Drieu la Rochelle ?».
Drieu assiste aussi aux réunions du groupe Littérature, une revue à laquelle le jeune auteur collabore. Il est encore au théâtre de l'Œuvre lorsque Breton apparaît sur scène en homme-sandwich avec le Manifeste DaDa et des vers de Picabia. Toutes ces pantalonnades à but littéraire laissent Drieu amer. Il écrit dans son journal que le statut d'écrivain qu'on lui prête est une imposture puisqu'il n'a publié aucun livre.
Le jeune Européen
Pour se connaître et se décrire, Drieu confie à Mauriac son projet d'écrire un livre intitulé Histoire de mon corps. Le projet n'aboutira pas, mais l'aspect autobiographique se retrouvera dans État civil en 1921. Il se fait connaître, en 1922, par un essai remarqué sur l'affaiblissement de la France après la Grande guerre, Mesure de la France. Sans se départir complètement d'un nationalisme classique, il y apparaît comme occidentaliste et philosémite : « Je te vois tirant et mourant derrière le tas de briques ; jeune Juif, comme tu donnes bien ton sang à notre patrie. »
Il publie en 1925 son premier roman, L'Homme couvert de femmes, qui comporte une forte part d'autobiographie. Sur le plan politique, il esquisse l'année suivante dans La Revue hebdomadaire le programme pour une Jeune Droite qui se veut au-dessus des partis, républicaine et démocratique, « Car les hommes ne doivent pas compter sur un homme pour se tirer d'affaire, […] il faut que l'élite en France se sauve d'elle-même. » Elle se veut aussi anti-militariste, déiste mais anticléricale, unie, mais ennemie de l'intolérance. Ce programme et le mot droite ne choquent pas son ami André Malraux.
Malraux et Drieu se retrouvent souvent chez leur ami commun Daniel Halévy, auquel Drieu avait consacré en 1923 un éloge de son livre sur Vauban. Malraux a déjà publié dans la NRF La Tentation de l'Occident qui semble répondre au jeune européen et à l'ensemble des textes publiés sous le titre Genève ou Moscou, que Drieu publie en 1927 dans les Cahiers verts (Grasset) dirigés depuis 1921 par Daniel Halévy. En gros, Malraux et Drieu ont une profonde communauté de dessein, même si les divergences politiques restent sous-jacentes. Ce n'est qu'à partir de 1934 que Drieu saura que l'esprit de Genève est perdu. Il croira alors que le socialisme européen ne peut arriver que par le fascisme. Cependant, il mettra un certain temps à abandonner l'idée de regrouper les jeunes gauches qu'il a conçue avec Gaston Bergery, mais qui ne débouche sur rien de concret.
Malgré les avances des membres de l'Action française qui invitent Drieu à se joindre à eux, le jeune écrivain reste en retrait, d'autant qu'Aragon, avec lequel il va bientôt se brouiller pour une question de femme, le prévient : « Tu sais que je tiens les gens de l'action française pour des crapules. »
Drieu est dans une position impossible, contradictoire, entre l'Action française dont les idées l'attirent d'une certaine manière, le socialisme de Léon Blum, et le conservatisme moderniste de Joseph Caillaux.
En 1924, Drieu est encore très lié avec les surréalistes. À Guéthary où il a loué une maison, séjournent ensemble, ou successivement : Philippe Soupault, Paul Éluard, Aragon, Jacques Rigaut, André Breton, Roger Vitrac, René Crevel, Robert Desnos, Max Ernst. Bien que Drieu ne partage pas leurs opinions, il accueille tout le monde.
L'homme couvert de femmes
Dès 1925, Drieu mène une vie mondaine sans répit. Il fréquente les salons avec sa maîtresse, la comtesse Isabel Dato et il multiplie les conquêtes féminines. Il assiste d'abord aux dîners NRF auxquels il se rend avec sa maîtresse. Mais en février 1929, il rencontre chez elle la femme de lettres argentine Victoria Ocampo, avec laquelle il a une courte liaison. Ils entretiendront par la suite une longue correspondance en dépit de leurs divergences idéologiques.
Marié deux fois, il divorce aussi deux fois : son mariage d'intérêt contracté en 1917 avec Colette Jéramec, qu'il n'aimait déjà plus, prend fin en 1925 (il la fera néanmoins libérer, ainsi que ses deux fils, du camp de Drancy en 1943), et sa seconde union en 1927 avec la fille d'un banquier Polonais ruiné, Olesia Sienkiewicz (1904-2002), se solde par une séparation dès 1929 et un second divorce en 1933. Au milieu des années 1930, il deviendra l'amant de Christiane Renault, l'épouse de l'industriel Louis Renault, et évoquera cette liaison de manière romancée dans Béloukia. Mais cette soif de séduction cache un problème sexuel et psychologique dont on a peu parlé, et sur lequel Pierre Assouline donne quelques pistes de réflexion à la lecture des Notes pour un roman sur la sexualité publié chez Gallimard {{Citation}}. Parmi ses conquêtes se trouve Suzanne Tezenas qui eut une liaison avec Nicolas de Staël.
Entre 1929 et 1931, toujours en compagnie d'une de ses maîtresses, Drieu assiste aux dîners de la NRF tantôt chez Paulhan, tantôt chez Arland, et il se retrouve avec le gratin du monde littéraire, notamment André Malraux, Jean Guéhenno, François Mauriac, Georges Bernanos et bien d'autres dont les idées ne vont pas développer le fascisme de Drieu, qui n'est d'ailleurs toujours pas très évident.
L'intellectuel qui se cherche
Avant le tournant de 1934, il cultive encore des idées républicaines et progressistes. En 1931, il se moque vigoureusement des théories racistes. La même année, il expose une appréciation positive d'André Gide, « plus discrètement, plus profondément, plus raisonnablement français que nos francophiles de France », « un philosophe au sens socratique du mot, ou un honnête homme ». En juin 1933, Bernard Lecache le salue parmi les personnalités qui, au côté de la LICA, mènent le combat contre l’antisémitisme et le fascisme{{,}}.
Après un voyage en Argentine, le 6 janvier 1934, où il est accueilli chaleureusement par Jorge Luis Borges, Drieu peut mesurer l'importance de sa réputation littéraire, notamment celle du Feu follet. Tandis qu'en France la critique est mesurée, à Buenos Aires les articles abondent. Avec son ami Emmanuel Berl et Gaston Bergery, il a l'idée d'un parti qui unirait les jeunes gauches, plus toniques que les socialistes, moins inféodés que les communistes. Drieu mettra longtemps à abandonner tous ces groupes. Il participe à des rassemblements du Mouvement pour l'antifascisme, rassemblement dit Amsterdam-Pleyel auquel assistent également des membres de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires dont Aragon et Malraux sont des membres assidus. À cette époque, les hommes de sa génération cherchaient de droite et de gauche un apaisement à leur mauvaise conscience. Bernanos venait de prendre position ouvertement en faveur de l'Espagne républicaine. Ceux du groupe de Drieu et de Bertrand de Jouvenel cherchent à construire une mythologie complexe et irréaliste (noblesse, chevalerie, amour courtois…). Il développera plus tard (1941) ces idées dans Notes pour comprendre le siècle, les conversations avec Emmanuel Berl, Bertrand de Jouvenel, Gaston Bergery, Emmanuel d'Astier de La Vigerie.
En 1933, ses amis, Malraux surtout, tentent d'intéresser Drieu au combat contre Hitler, qui vient de prendre le pouvoir. L'incendie du Reichstag alimente la légende des terroristes communistes, alors que ce sont les SA (sections d'assaut) qui ont propagé l'incendie allumé par Marinus van der Lubbe. Drieu, déjà fasciné par les démonstrations de force hitlériennes, n'est pas sensible à ces manipulations de l'opinion.
Le socialiste fasciste
Dans les semaines qui suivent les manifestations du 6 février 1934, il va à Berlin avec son ami Bertrand de Jouvenel, lequel est très engagé dans une amitié franco-allemande, et il souhaite une « renaissance nationale et sociale ». Drieu est invité par le cercle du Sohlberg ; l'homme qui l'accueille, Otto Abetz, admire ses écrits et lui demande une conférence. À la suite de son voyage à Berlin, Drieu cherche à faire admettre le fascisme à ses amis de la gauche, mais il est violemment rejeté. Une succession de scandales ont contribué à rendre l'atmosphère étouffante : l'affaire Marthe Hanau, la banquière des années folles (1928), suivie de l'affaire Stavisky. Les manifestations se sont succédé jusqu'au 6 février 1934. Les jeunes rêveurs Gilles et Aurélien qui faisaient partie de la personnalité de Drieu disparaissent. Drieu se tourne vers les mouvements d'anciens combattants et se déclare à la fois « socialiste » et « fasciste », voyant dans ce syncrétisme idéologique une solution à ses propres contradictions et un remède à ce qu'il regarde comme la décadence occidentale.
En octobre 1934, il publie l'essai Socialisme fasciste, et se place dans la lignée du premier socialisme français, celui de Saint-Simon, Proudhon et Charles Fourier. Ces textes sont échelonnés de 1933 à 1934. Tout cela le conduit à adhérer en 1936 au Parti populaire français, fondé par Jacques Doriot, et à devenir, jusqu'à sa rupture avec le PPF au début de 1939, éditorialiste de la publication du mouvement, L'Émancipation nationale. Parallèlement, il écrit ses deux romans les plus importants, Rêveuse bourgeoisie et Gilles. Il est membre du Comité de direction de l'Association du Foyer de l’Abbaye de Royaumont. Mais au moment même où les totalitarismes s'affermissent, Drieu imagine que peu à peu, l'État totalitaire se disloque. Il ne voit plus aucune différence entre mussolinisme, hitlérisme, et stalinisme. Selon Dominique Desanti : {{Citation bloc}} Dès 1934, Drieu sait qu'il n'y a pas de salut pour ceux de son espèce : {{Citation bloc}} Julien Benda, auteur de La trahison des clercs, applaudit la noblesse d'âme de Drieu, contredisant ainsi les idées qu'il expose dans son livre.
Le directeur de la NRF
De 1925 à juin 1940, Jean Paulhan dirige la NRF, principale revue littéraire d'Europe, signant un certain nombre d'articles sous le pseudonyme de Jean Guérin. Mais en 1940, les éditons Gallimard sont mises sous scellés, des livres à l'index : il y a trop de juifs, trop de communistes, trop de francs-maçons selon les autorités allemandes. Otto Abetz, ambassadeur allemand ami de Pierre Drieu La Rochelle, propose à Jean Paulhan de continuer à diriger la revue, ce que Paulhan refuse, vu le nombre d'écrivains écartés. Cependant il accepte de collaborer avec Drieu qui sera directeur à sa place. Drieu voit dans la NRF un pis aller. Il prend la direction de la revue avec un contrat confortable et l'assurance de l'appui de Paulhan. Le dandy aux idées « nationales socialistes » dresse la liste des écrivains prisonniers, dont Sartre fait partie, et obtient leur libération. Paul Léautaud découvre avec effarement que Paulhan éprouve une vive sympathie pour Drieu qu'il décrit à Gaston Gallimard comme « un garçon plutôt timide, très droit, très franc ». {{Citation}}. Paulhan se dit anti-pacifiste, anti-démocrate, anti-républicain et il n'a aucun goût pour le libéralisme. {{cita}}. Le goût du paradoxe chez Paulhan va loin, Drieu le trouve surréaliste.
En attendant, les deux hommes doivent se battre pour former un comité d'écrivains : Louis Aragon refuse de participer, Paul Claudel demande que soit d'abord évincé ce putois de Montherlant… Et pour couronner le tout, Paulhan est dénoncé à la Gestapo : il devra s'enfuir avec l'aide de Drieu. Toutefois, sa réflexion sur le « fascisme » de Drieu est assez nuancée. Il lui écrit : {{Citation bloc}}
L'égaré désabusé
À partir de 1943, Drieu la Rochelle, revenu de ses illusions qu'il expose d'abord dans L'Homme à cheval - une fable sur les rapports entre l'artiste et le pouvoir - puis dans Les Chiens de paille - où il se représente sous les traits d'un ancien anarchiste nommé Constant -, tourne ses préoccupations vers l'histoire des religions, en particulier les spiritualités orientales. Dans un ultime geste de provocation, il adhère pourtant de nouveau au PPF, tout en confiant à son journal secret son admiration pour le stalinisme qu'il compare au catholicisme. Dans ce même journal, il n'évoque pas certains aspects de sa vie privée comme le fait qu'il soit devenu, à la demande de Josette Clotis, la compagne d'André Malraux, le parrain d'un de leurs deux enfants.
À la Libération, il refuse l'exil ainsi que les cachettes que certains de ses amis, parmi lesquels André Malraux, lui proposent. Il tente de se suicider le 11 août 1944 avec du luminal, puis fait une seconde tentative quatre jours plus tard en s'ouvrant les veines. Après deux suicides manqués, il se donne la mort rue Saint-Ferdinand à Paris le {{date}} en avalant du gardénal (qui est à l'instar du luminal une forme de phénobarbital). Lucien Combelle a été l'un des derniers témoins de son suicide. Drieu est enterré dans le vieux cimetière de Neuilly-sur-Seine.