Lefort, Claude (1924-2010)
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Biographie
Origines familiales
Claude Lefort est le fils naturel de Rosette Cohen (1884-1959) et de Charles Flandin (1882-1955) et n'a porté le nom de Lefort qu'à partir de 1942.
Les Cohen sont une famille juive originaire de Carpentras. Le grand-père de Rosette était négociant à Marseille et elle est la fille de Félix Cohen, avocat, Conseiller d'Etat sous le Second Empire, homme de lettres et de théâtre. Il a épousé une catholique d'esprit libéral ; leur fils (Félix lui aussi) est élevé dans la religion juive, tandis que Rosette a été baptisée. Après la mort de Félix Cohen, Rosette, qui continue de vivre avec sa mère, élève les deux enfants qu'elle a eus hors mariage, Bernard (né en 1917) et Claude; elle travaille pour entretenir sa famille, d’abord comme « petite main » dans une grande maison de couture, puis comme dessinatrice de mode pour la presse.
C’est vers 1930 que Claude Cohen comprend qu’il est le fils du docteur Charles Flandin, un ami de la famille. Il vient d'une famille de la haute bourgeoisie parisienne. Il est le fils d'Étienne Flandin (1853-1922), conseiller général et député de l'Yonne (les Flandin sont originaires de Domecy-sur-Cure), et le frère aîné de Pierre-Étienne Flandin (1889-1958), lui aussi député de l'Yonne et figure politique notable de la IIIème République ; Charles est lui-même conseiller général de ce département. Bien que Charles Flandin soit marié, Bernard et Claude Cohen sont invités de temps à autre dans la famille à partir de 1936 (c'est à Domecy que Claude apprend la déclaration de la guerre en 1939).
Au printemps 1942, une amie de la famille Cohen, réfugiée autrichienne, se souciant des dangers que ce nom peut faire courir aux deux frères, même s’ils ne sont pas classés comme juifs par la législation de Vichy, obtient d’un commerçant célibataire et sans enfants qu’il se déclare le père des deux enfants, qui dès lors prennent le nom de Bernard et Claude Lefort.
On peut penser que Claude Lefort n’a jamais cessé de considérer que sa vie dépendait de ce qu’il en faisait lui-même et non des racines qu’il n’affichait nullement. C’est seulement dans la dernière année de sa vie qu’il a rédigé des fragments de récit au sujet de ses origines, qui n'étaient connues que par ses proches. Parmi ceux-ci, Pierre Pachet a enregistré et transcrits ses propos qui ont été publiés en 2013 dans La Quinzaine littéraire.
Études et débuts de militant intellectuel
Il fait sa scolarité au lycée Carnot, où il est marqué par le professorat de Maurice Merleau-Ponty : « J'ai découvert Marx dans ma classe de philosophie, avec un professeur qui était Merleau-Ponty et qui m'a permis d'emblée d'aborder le marxisme sans tomber dans la version mécaniste et déterministe. ». Il prépare ensuite le concours de l'ENS, puis étudie la philosophie à la Sorbonne.
Il appartient dès 1944 au petit noyau trotskiste français : {{refnec}}.
Introduit aux Temps Modernes par Maurice Merleau-Ponty, il participe aux "réunions des collaborateurs" et y est publié dès 1945.
En 1946, il rencontre Cornelius Castoriadis, arrivé depuis peu de Grèce. Ils créent au sein du Parti communiste internationaliste, d'obédience trotskiste, la tendance « Chaulieu-Montal », nommée d'après les pseudonymes qu'ils utilisent alors (Lefort étant « Montal »), qui fait sécession en 1948 et devient le groupe Socialisme ou barbarie ; en 1949 une revue est lancée sous ce nom.
En 1947 et 1948, il travaille, entre autres pour l'UNESCO puis en 1949, est reçu dixième à l'agrégation de philosophie.
Carrière universitaire
Il est nommé professeur à Nîmes (1949-1950) puis à Reims (1950-1951).
En 1951, il est recruté à la Sorbonne comme assistant de sociologie de Georges Gurvitch. Dès 1952, à la suite d'un différend avec celui-ci, il est détaché grâce à l'appui de Raymond Aron à la section de sociologie du CNRS, où il reste jusqu'en 1966, avec une parenthèse de deux ans (1953-54) où il enseigne à l'Université de São Paulo au Brésil.
En 1966, il est nommé en sociologie à l'Université de Caen, où il professe jusqu'en 1971, année où il soutient sa thèse de doctorat d'état : Machiavel, le travail de l'œuvre. Il revient alors comme chercheur à la section de sociologie du CNRS, puis entre en 1976 à l'École des hautes études en sciences sociales, jusqu'à sa retraite en 1989.
Parcours intellectuel
- Les Temps Modernes
Il y écrit jusqu'à sa rupture avec Sartre en 1953, à la suite de la polémique entre celui-ci et Maurice Merleau-Ponty à propos des relations avec le mouvement communiste, notamment avec le PCF.
- Socialisme ou Barbarie
À Socialisme ou Barbarie (qui paraît de 1949 à 1967 et dont il est cofondateur), il est actif jusqu'en 1950, puis de 1955 à 1958. Avec Socialisme ou barbarie, il se bat contre le marxisme orthodoxe. Socialisme ou Barbarie considère l'URSS comme un capitalisme d’État, et apporte son soutien aux révoltes anti-bureaucratiques en Europe de l’Est — en particulier à l’insurrection de Budapest en 1956. Des divergences amènent une scission au sein du groupe ; Lefort fait partie avec Henri Simon des fondateurs de Informations et liaisons ouvrières en 1958. Il quitte quelques années plus tard le militantisme actif.
En 1968, il écrit une des premières analyses des événements, publiée dans le recueil La Brèche (Fayard), avec des écrits d'Edgar Morin et Cornelius Castoriadis.
- Après Mai 1968
Dans les années 1970, il développe une analyse des régimes bureaucratiques d’Europe de l’Est. Après avoir lu L'Archipel du Goulag, il écrit sur Alexandre Soljenitsyne son livre Un homme en trop (1976). Ses réflexions sur le totalitarisme sont publiées en 1981 dans le recueil L’Invention démocratique.
De 1971 à 1975, il participe à Texture, créée en 1969, et y fait entrer Cornelius Castoriadis et Miguel Abensour. Avec eux ainsi qu'avec Pierre Clastres et Marcel Gauchet), il crée en 1977 Libre, qui paraît jusqu'en 1980, date où des différends l'opposent à Castoriadis comme à Gauchet. De 1982 à 1984, il dirige Passé-Présent, où sont présents, entre autres, Miguel Abensour, Carlos Semprun, Claude Mouchard et Pierre Pachet. Ces deux derniers ainsi que Claude Habib forment le comité de lecture de la collection « Littérature et Politique » que Lefort dirige à partir de 1987 aux Éditions Belin.
Parallèlement, à l'EHESS, il participe à deux centres de recherche : le CECMAS (Centre d'étude des communications de masses), fondé par Georges Friedmann, où l'accueille Edgar Morin, puis le Centre Raymon Aron, qu'il fréquente jusqu'à sa mort.
Dès la mort de Maurice Merleau-Ponty en 1961, Lefort a pris en charge l'édition de ses manuscrits. En 2010 paraît le livre M. Merleau-Ponty, œuvre (Gallimard, collection « Quarto »), dont il a assuré la direction et écrit la préface.